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  • Réunir ou diviser

    Aout 2020

    Dans l’art de réunir et de fédérer, j’ai appris deux ou trois choses. Commençons par une évidence : pour réunir, il ne faut pas séparer. Une goutte d’eau compte peu, mais la vague soulève les navires. Un simple fil est cassant mais tressez-en quelques brins et ensemble ils soutiendront les plus lourdes charges. Hésitant, éparpillé, je suis comme un incapable - mais laissez-moi rassembler mes idées et je serai déterminé. La totalité possède une puissance naturelle que la partie ne possède pas. Une cohérence, un impact, quand rien n’est fragmenté. L’unité a un pouvoir immense. Peut-on s’en inspirer ?

    Fait

    Commençons par observer la nature, car elle ne sépare pas. Elle défend l’unité dans la moindre de ses forêts. Chacun y a sa place et son rôle. Les plantes n’y ont besoin d’aucune aide, pour pousser et resplendir. Son sous-bois nous parle d’équilibre, d’osmose, d’actions croisées. Tout change en permanence mais ici la variété n’est pas la différence. Les couleurs et les formes fluctuent mais ne suffisent pas à diviser. Tant d’espèces cohabitent. Et c’est la même histoire que l’on retrouve dans les rivières, les océans, les déserts. Une preuve implacable de succès.

    La nature est l’autorité supérieure. Le juge de paix. Une telle force de réalité porte un nom : ce sont des Faits. Qui peut remettre en question la nécessité et le pouvoir de l’eau sur chaque espèce vivante? Qui peut questionner la puissance du vent qui s’infiltre partout et soulève jusqu’à nos avions? Qui oserait lutter contre la pression, défier la gravité ? Les arguments de la nature mettent tout le monde d’accord. La lumière, le son, le goût. Comment discuter avec celle qui a le monopole des vérités.

    Après tout qu’est-ce qu’un Fait ? Si ce n’est un morceau du réel, bien présent, incontournable. Une évidence qui s’exprime aujourd’hui et que personne ne peut remettre en question. Le Fait c’est l’arbre dans mon jardin ou le toit qui vous protège. C’est celui qui - aujourd’hui – est votre ami, votre collègue, votre confident. C’est le bois de cette table sur laquelle je m’appuie. Le vêtement qui vous couvre. L’ombre qui vous suit. Tous ces fragments de la nature ont le pouvoir d’unifier. Montrez-moi un arbre, et je ne pourrai en douter. Instantanément, le Fait nous convertit. Portez seulement un Fait à ma conscience, et me voilà convaincu, persuadé, affecté. L’Homme est-il capable d’utiliser un tel pouvoir ? Bien sûr. Il l’a déjà fait. C’est l’inventeur qui étudie, observe et modélise. En comprenant la nature, il peut enfin l’utiliser. Il crée le vélo, la machine à vapeur, l’électricité. C’est aussi ce que fait le grand peintre qui étudie l’œil, les courbes et la beauté. Il observe les ombres et perce leurs secrets. Il sélectionne les plus beaux pigments, il comprend la lumière. Savants, poètes, boulangers. Tous ont besoin de la nature pour mieux nous séduire. Nous toucher. Chacun à sa façon, lorsqu’il souhaite faire l’unanimité, doit par maîtrise ou hasard saisir un bout de sa vérité.

    Idée

    Les idées aussi ont de la force quand elles s’orientent vers le concret. Notre imagination a produit nos voitures, nos maisons, nos villes. Elle relie le patron, l’architecte et l’ouvrier. Certaines idées font le pont du réel au réel. C’est un ensemble de faits qu’elles ont coordonnés. C’est la connaissance des lois de la nature et le travail des hommes qui érigent le puits, la tour, la muraille de Chine. Cette capacité merveilleusement humaine à comprendre l'existant, à l'utiliser et à le modifier.

    Mais qu’en est-il des idées qui ne sont que des mots, des phrases, des pensées ? Elles réunissent parfois un groupe, mais jamais elles ne font l’unanimité. Aussi belles soient elles, il se trouve toujours une personne pour les refuser. Défendez une valeur, et déjà, démarre la critique. Racontez une histoire, et un autre la dira déformée. Parlez donc de votre religion - d’autres la tailleront en pièce. Toute idée marche main dans la main avec son opposition. Une idée – même magnifique – n’aura jamais l’impact d’un Fait. Qu’il est dur de convaincre et d’être considéré. Nous usons de tous les subterfuges, du poids des nombres, de la répétition. Quand il vous faut la puissance d’un groupe, d’un lobby, d’un gouvernement - c’est que votre idée manque de force et de puissance. En somme, elle manque de réalité.

    Nous n’aimons pas le voir, mais les idées nous divisent. Elles affirment et exacerbent nos différences au lieu de nous rassembler. Rencontre-t-on la divergence d’opinion ou lui lance-t-on une invitation ? L’Idée ne rencontre pas l’opposition - elle la crée. Notre histoire est remplie de débats qui regroupent quelques personnes et séparent un peu plus l’humanité. Tel peuple a de plus grandes valeurs. Des droits plus nobles. Une divine autorité. Certaines idées sont martelées si fort, que pour un peu on y croirait. Leur triste répétition leur donne un poids immense. Peu à peu elles dominent nos paysages, nos consciences, nos pensées. Plus personne ne voit le véritable danger, à savoir qu’aujourd’hui les Faits et les Idées sont mélangés.

    Unir

    Vous pouvez croire que la terre est fixe, mais votre idée ne l’empêche pas de tourner. Que valent donc nos convictions, quand elles masquent des vérités ? Nous sommes si habitués aux constructions habiles de notre pensée que nous ne les remettons plus en cause. Nous nous voulons rationnels, réalistes. Et nous refusons de voir les faits.

    Ouvrons les yeux et soyons attentifs. Pourquoi est-il si dur de réunir un pays ? Peut-être l’avons-nous séparé ? En créant un parti qui ne vise qu’un groupe, en brandissant des valeurs qui ne visent qu’un côté. Pourquoi échouons-nous à construire la paix ? Nous voulons simplement conserver nos religions, nos convictions, nos petites idées. Nos religions alimentent nos guerres. Notre nationalisme fragmente l’humanité. Nos intérêts, nos droits, nos garanties sont la raison de nos conflits.

    Une idée – la pire de toute – nous sépare même de nos responsabilités : croire que tout se joue en haut, au gouvernement, au pouvoir. Non ne vous laissez pas abuser. Le groupe est la somme de nos privilèges, notre rang social, nos préjugés. Quand la division crée un fossé, chaque bord est un opposé. Les idées séparent les hommes et tel sera – toujours - leur effet. Peu importe votre groupe, vos valeurs, vos droits. L’idée même de regrouper, ne peut que nous séparer.

    Car comprenons-nous bien : seul ce que nous faisons a vraiment un effet. Comment se réunir lorsque l’on divise en permanence? Mettre un terme à la fragmentation, demande d’utiliser le réel, la nature, le fait. Car ils ont seul ce pouvoir de réunir un homme, un groupe, l’humanité.

    Abandonnons les Faits d’hier car ils n’en sont plus aujourd’hui. Ils nous encombrent et n’ont plus aucune réalité. Abandonnons les idées passées et présentes, auxquelles l’Homme continue à s’accrocher. Elles sont une épaisse couverture qui lui masque le monde. Et l’empêche de l’observer. Notre savoir nous isole, nous sépare et nous empêche d’écouter.

    La séparation n’est pas réelle et l’Homme fait partie de la nature. Elle agit sur lui et il agit sur elle, comment peut-on en douter ? Il est temps de reprendre l’éducation à zéro. De revenir au réel, au concret. Nos plus belles idées divisent le monde, quand allons-nous les lâcher ?

    Notes

    [1] : Note


    Merci à Fabrice Jimenez, Gaëlle Albertus, Liliane Bonnet et Coralie Marcadier pour avoir relu cet essai.

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